Tout le monde se refile ses albums. Ou en parle. Depuis la sortie, en 2015, de Zaï zaï zaï zaï, énorme best-seller, Fabrice Caro, alias Fabcaro, s’est imposé dans la bande dessinée. Son humour absurde, son trait délicat et son génie de l’observation ont conquis le public. Éternel angoissé dans la vraie vie, il se révèle hilarant sur le papier. Rencontre sur ses terres, à Montpellier.

Quand Fabcaro dédicace, la file s’allonge et la pile s’envole. En ce week-end de Fête du livre, à Montpellier, sa ville natale, les organisateurs ont sous-estimé son succès : à midi, tous les exemplaires de son dernier album Moins qu’hier (plus que demain) sont partis. On s’arrache les derniers Zaï zaï zaï zaï, sa BD culte, sortie en 2015. La pause déjeuner a sonné, la dédicace arrêtée, lorsque s’approche un homme qui demande timidement une dernière signature. « Oui, bien sûr », dit en souriant Fabrice Caro, qui s’exécute illico, debout à côté du stand.

De son stylo noir et de sa main gauche, il dessine le personnage principal, un homme qui brandit un poireau. Et signe « Amitié, Fabcaro », son pseudo depuis ses toutes premières publications dans des petits fanzines, au milieu des années 1990. Pour les ami·es, il remplace « amitié » par « bisous ». Il est comme ça, Fabrice Caro : accent du Sud, boucle d’oreille de rockeur, adorable, chaleureux, gentiment naïf et absolument étonné de son propre succès. « Je dis oui à tout, je ne sais pas dire non », s’excuse-t-il, penaud. Zelda Hadener, son éditrice de la maison 6 Pieds sous terre, confirme : « Tout le monde veut des dédicaces de Fabcaro. On est obligé de couper les files d’attente dans les festivals, sinon, il ne mangerait pas. Il est trop gentil. »

À table, il continue de dédicacer, entre deux plats, les exemplaires mis de côté pour des connaissances. Inlassablement, il esquisse son personnage au poireau. Le héros de Zaï zaï zaï zaï est un auteur de BD qui fait ses courses dans un grand magasin. À la caisse, c’est le drame : il a oublié sa carte de fidélité dans un autre pantalon. Il menace le vigile avec un poi- reau et s’enfuit. S’ensuit alors une cavale complètement loufoque, qui conduit l’homme jusqu’en Lozère et fait de lui l’ennemi public numéro 1. Sa vie et l’album basculent dans le non-sens total, jusqu’à cette fin, sur un air de Joe Dassin, qui donne tout son sens au titre. Fabrice Caro a puisé son inspiration dans sa propre vie : « Cette question de la carte de fidélité m’angoisse toujours à la caisse. Et pourtant, ce n’est pas grave de ne pas l’avoir ! »

Plus sérieusement, entre les lignes, Zaï zaï zaï zaï livre une vive critique de la société de consommation. Fabcaro épingle le pistage des clients à travers les cartes de fidélité, le traitement médiatique réservé aux faits divers et les analyses stériles délivrées aux informations. « Je voulais faire quelque chose d’absurde qui puisse avoir une seconde lecture plus politique. On peut voir une analogie entre la carte de fidélité, qui serait la carte d’identité, et le fuyard, qui serait un étranger. » Cet humour cynique a progressivement conquis les libraires, les critiques et les lecteurs. « On approche des 140 000 ventes », calcule son éditeur des 6 Pieds sous terre, Miquel Clémente. Qui précise, pour décrire l’ampleur du phénomène : « Nos autres auteurs vendent en moyenne 1 500 exemplaires par œuvre… On avait déjà de bons tirages avec son précédent album, Carnet du Pérou, mais on ne pouvait pas prédire ce succès commercial. Au final, c’est une BD subtilement passe-partout, qu’on achète pour soi et qu’on offre à son entourage. »

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